Eau & Participation citoyenne : former les collectivités locales pour éviter les conflits

« Comment faire adhérer la population à son projet de territoire en partageant les enjeux de l’eau ? ». Tel est le thème du module de formation délivrée par l’ARBE aux agents de quatre collectivités territoriales le 6 novembre 2025 au Luc-en-Provence avec la participation du GRAINE. Objectif de cette journée d’acculturation : explorer les leviers de la participation citoyenne et le rôle de chaque acteur, à son échelle, pour contribuer à la construction d’une gouvernance partagée de l’eau et de la transition écologique.

C’est dans les locaux de la Communauté de communes Cœur de Var qu’une douzaine d’agents issus des collectivités territoriales Lacs et Gorges du Verdon, Sud Sainte-Baume, Pays de Grasse et Cœur de Var se sont réunis pour la 7e fois dans le cadre de l’Appel à manifestation d’intérêt « Gestion intégrée de l’eau et des milieux aquatiques » de l’Agence Régionale de la Biodiversité et de l’Environnement (ARBE).
Après un lancement le 13 septembre 2024, les modules de formation se sont enchaînés : Milieux aquatiques le 3 mers 2024, Ressources en eau le 21 novembre 2024, Pollutions le 26 février 2025, Documents d’urbanisme le 1er avril 2025, Eaux de pluie et aménagement le 25 septembre 2025.

Un éventail d’outils pédagogiques

Pour ce dernier module consacré à la participation citoyenne, l’ARBE a sollicité le GRAINE Provence-Alpes-Côte d’Azur afin de représenter le secteur de l’éducation à l’environnement et au développement durable. La Maison Régionale de l’Eau n’étant pas disponible, le GRAINE l’a également représentée.
Avec plus de 32 250 personnes touchées directement en 2024 et plus de 470 000 par ses quelque 60 structures adhérentes (source : ARBE Panorama des acteurs de la sensibilisation et de l’éducation à la transition écologique), le GRAINE centralise un panel d’outils pédagogiques favorisant l’engagement citoyen. Ainsi, Annabel Walker, animatrice réseau du GRAINE, a partagé une dizaine d’ateliers et jeux présentés notamment lors du dernier forum des outils pédagogiques, consacré à l’eau, le 11 avril dernier à Aix-en-Provence :

Le Science Tour Eau – Les Petits Débrouillards Provence Alpes Côte d’Azur

Expériences Changements Climatiques – CPIE des Iles de Lérins et Pays d’Azur

Analyse de l’eau douce – CPIE Côte Provençale Atelier Bleu

Korridor – Eaux & Rivières de Bretagne, animé par France Nature Environnement Provence Alpes Côte d’Azur

J’agis pour l’eau – GRAINE Auvergne Rhône Alpes (déplacement en Provence Alpes Côte d’Azur possible), GRAINE Bourgogne Franche Comté, animé localement par Eco-Lab ’ Environnement dans le Vaucluse

La Fresque interactive « mission lagunes » – CPIE Rhône Pays d’Arles

« Le Rozo ambulant » – association Adena, gestionnaire de la Réserve naturelle nationale du Bagnas (Hérault)

Aqua Nostrum – Maison Régionale de l’Eau (83)

Photolangages® – Maison Régionale de l’Eau (83)

Et en termes de concertation :
Le projet DIAT-ASS de dialogue territorial entre agriculteurs et riverains sur les produits phytosanitaires (2022-2025) des CPIE Pays de Vaucluse et Pays d’Aix (projet soutenu par la DRAAF et la Chambre d’agriculture après l’agression au fusil d’exploitants en agriculture biologique en 2018).

Télécharger le catalogue des outils pédagogiques Eau, milieux aquatiques et marins 2024 des adhérents du GRAINE

Expo itinérante, webinaires et annuaire

Pour l’ARBE Sud, Samantha Khalizoff, a présenté le Panorama des acteurs de la sensibilisation et de l’éducation à la transition écologique.
Elle revenue sur le webinaire « 1h pour comprendre » sur la fête de la nature et la journée mondiale de l’eau le 25 novembre dernier. Un mardi par mois, de 13h à 14h, un thème est exploré. En mars, ce sera au tour de la trame turquoise et espèce cible (mammifères semi-aquatiques).
Elle a aussi invité les agents des collectivités présentes à emprunter l’exposition « Nature for City Life et adaptation au changement climatique », réalisée par l’association Chercheurs en herbe, adhérente du GRAINE. Portée par la Région Sud et les métropoles, l’expo sensibilise tous les publics aux enjeux climatiques. Elle met en avant les solutions apportées par la nature urbaine (trames écologiques, services écosystémiques) à travers 14 panneaux et une mallette pédagogique. Libre d’accès et gratuite, elle est disponible pour les communes, écoles et associations.

L’Agence de l’eau soutient la participation citoyenne

Une table-ronde s’est ouverte sur l’intervention de Franck Zoulalian. Le référent planification à l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse a rappelé que la participation citoyenne est un pilier du 12ᵉ programme 2025-2030. En effet, parmi les 40 fiches d’aides, la fiche « démarches participatives » peut soutenir jusqu’à 70 % du budget d’un projet.
Lors du précédent programme de l’Agence, l’Appel à Projets (AAP) 2020 a permis de soutenir 61 projets, pour un montant total de 4,2 millions d’euros d’aides. Les thématiques retenues reflètent les enjeux actuels de la gestion de l’eau : les économies d’eau (suite à la sécheresse de 2022-2023, la gestion des eaux pluviales et la désimperméabilisation, la restauration des milieux naturels, ou encore les enjeux multiples comme la création du SAGE (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) de la Crau. Les retours d’expérience de cet AAP ont permis de dégager plusieurs enseignements. Côté projet, l’émergence de nouvelles dimensions, avec une responsabilité plus largement partagée, ou encore un ancrage territorial renforcé, essentiel pour que les projets soient bien acceptés sur le long terme. Côté acteurs, une meilleure interconnaissance entre les différents acteurs, permettant d’identifier plus finement les besoins sociaux, une évolution du rapport aux décideurs et aux politiques publiques, avec des dynamiques plus collaboratives, ou encore la création de nouveaux espaces d’échange, comme des promenades sur site ou du théâtre forum.

Franck Zoulalian a insisté sur plusieurs précautions à prendre pour garantir le succès des démarches participatives : prévoir une phase d’écoute en amont pour bien cerner les attentes, proposer un scénario initial, le tester avec les parties prenantes, puis l’enrichir en fonction des retours, constituer un échantillon représentatif des acteurs du territoire et des usagers, bien définir les règles de la participation en clarifiant les limites, ou encore faire un bilan avec la population après la participation, en expliquant comment les avis ont été pris en compte. « Certains citoyens s’engagent, puis n’ont plus de nouvelles du projet et se sentent mis à l’écart », a-t-il expliqué, soulignant l’importance de cette étape pour maintenir la confiance.
Ainsi, pour l’élaboration du nouveau SDAGE (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) 2028–2033 du bassin Rhône-Méditerranée, une concertation est menée auprès d’un panel d’environ 30 personnes. Cette approche vise à mieux intégrer les attentes des territoires et à anticiper les tensions.
Franck Zoulalian a souligné que ces démarches participatives représentent une prise de risque pour les décideurs, les réactions du public pouvant parfois réserver des surprises.

Renaturation de l’Huveaune : un soulèvement populaire inattendu

Cela a été le cas en 2023 à Aubagne (Bouches-du-Rhône) lorsque l’EPAGE HuCA s’apprêtait à entamer un chantier de reméandrage et de restauration de l’Huveaune avec abattage d’arbres d’espèces invasives quand une pétition en-ligne de quelque 27 800 signatures a conduit à une pause des travaux. Après l’implication de militants nationaux suspendus aux arbres et l’attention soudaine des médias autour du conflit, le dialogue a finalement pu être entamé, se concrétisant par l’achèvement du chantier, repensé collectivement, et une grande célébration populaire le 25 octobre dernier. Pour Estelle Fleury, directrice de l’EPAGE HuCA, et Gaëlle Le Bloa, de l’agence de médiation GENOPE, cette crise a finalement permis de repenser le projet et d’améliorer la communication avec les habitants.

L’importance d’impliquer tous les acteurs


Parmi d’autres retours d’expérience, Pierre Filattre, du cabinet Contrechamp, a présenté un projet de restauration de la Savasse à Romans-sur-Isère (Drôme), où des ateliers de concertation ont permis de recueillir les perceptions des habitants. Cependant, l’exclusion de l’opposition municipale lors des invitations a nourri des critiques sur le manque de démocratie, rappelant l’importance d’une inclusion équitable de tous les acteurs.
« Economisons l’eau en Provence verte »
Christophe Garrone, du Syndicat mixte de l’Argens (Var), a partagé les enseignements d’une campagne de sensibilisation aux économies d’eau. Malgré le recours à des outils innovants comme Photolangages® de la Maison Régionale de l’Eau, la difficulté à toucher les publics non sensibilisés reste, pour lui, un défi majeur.

L’étang de Berre : une étude d’attachement territorial


Raphaël Grisel, du GIPREB (syndicat mixte de gestion intégrée prospective et restauration de l’étang de Berre) a présenté une étude sur les attachements à l’étang de Berre, révélant que l’attachement des habitants ne dépend pas de la proximité géographique, mais de la fréquentation du site. Cette étude a permis de mieux cibler les actions de sensibilisation et de valorisation du territoire.

Crédit : Annabel Walker / GRAINE Provence-Alpes-Côte d’Azur

Inondations : un jeu de rôles et de simulation graphique


La phase pratique de la rencontre a permis de découvrir le jeu sérieux SIM-MANA, développé par l’INRAE. Celui-ci permet de simuler des scénarios de gestion de l’eau et d’inondations, favorisant ainsi la co-construction de solutions avec les habitants. Franck Taillandier, chercheur à l’INRAE, a démontré comment cet outil peut être utilisé lors de réunions publiques pour éclairer les décisions locales.


La journée s’est conclue sur l’idée que la participation citoyenne est un processus progressif, qui nécessite des outils adaptés, une écoute active et une transparence dans la prise de décision. Les intervenants ont insisté sur l’importance de distinguer les espaces de consultation des espaces de décision, et de favoriser l’appropriation des projets par les citoyens, plutôt que de se contenter d’une acceptabilité superficielle.


Les participants ont été invités à se retrouver au festival de l’intelligence collective à Aix-en-Provence, les 19 et 20 juin 2026, pour poursuivre les échanges sur ces enjeux.